En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d’intérêts.

Les engagements de la COP21 sont reconnus inapplicables : try again !

La faute à qui ? Hello Demain vous a préparé un cours : la bourse du carbone pour les nuls.

Ecrit par Alexandre Broutart Publié le 28 déc. 2016

Alexandre Broutart

Les engagements de la COP21  sont reconnus inapplicables : try again !

Ségolène Royal, Ministre de l'environnement, tient entre ses mains la preuve que les engagements pris à Paris ne coïncident pas vraiment, pour l'heure, avec la réalité. Dans un rapport de juillet 2016 qu'elle a elle-même commandé, un constat sans appel : sans changer les règles de la bourse carbone, aucun des engagements de la COP21 ne sera tenu. La bourse quoi ? Allez, pas de déprime, tout n'est pas perdu : la Ministre compte utiliser ce rapport pour faire pression sur l'Europe prochainement.

La remise officielle du rapport est passée inaperçue cet été. Très loin de l'euphorie collective de la COP21, des photos de groupe sur l'estrade, des larmes de Laurent Fabius et du joli "2%" que tout le monde a retenu sans trop comprendre, croyant qu'il s'agissait d'une victoire. 2%, c'était le seuil de réchauffement climatique auquel il fallait impérativement se restreindre d'après les experts du GIEC, si nous voulions éviter de justesse la catastrophe écologique qui nous attend de pied ferme, COP ou pas COP.

Evidemment moins glamour, le document de 101 pages nous apprend que les délégations du monde entier se sont applaudies d'avoir écrit un contrat sans en fixer les termes :

Il y a une incohérence entre les accords de Paris et le fonctionnement du marché carbone européen.

...peut-on y lire dans une police en gras. La chose est dite. Pour remédier à ce léger hiatus, les experts pointent du doigt LA réforme incontournable qui ferait peut-être la différence pour redescendre au seuil des fameux 2% : imposer de nouvelles règles au marché européen des quotas carbone.

Les quotas carbone, mais de quoi s'agit-il bon sang ?

La technique des Terminator

"Back in the game !" disait Michael Douglas dans le second opus du film Wall Street. Peut-être aussi ce que se sont dit les économistes à l'origine du marché des quotas carbone, en faisant des émissions de carbone un véritable Wall Street. En fait, une Bourse dans la Bourse. Pas de panique on vous explique tout.

Pour éviter d'imposer aux industries polluantes des règles trop dures qui les feraient fuir, l'Europe s'est voulue plus maligne qu'autoritaire, en adoptant la technique des Terminator : se faire à l'image de la loi du marché pour mieux combattre sa capacité de nuisance écologique. Ainsi, depuis les premiers accords de Kyoto, entrés en vigueur en 2005, s'est progressivement installé en Europe un système de Bourse du carbone, pour inciter les entreprises à réduire les émissions de CO² de leurs installations, qui, on le sait, sont en grande partie responsables du réchauffement climatique.

Le système est centré autour de la Commission européenne. Celle-là met aux enchère des autorisations de pollution annuelles sous forme de "quotas", qu'il ne faut pas dépasser sous peine d'amende. Cette autorisation à polluer est évidemment calculée de façon à réduire les émissions de carbone. Exemple : si une entreprise émet 100 000 tonnes de carbone par an, l'autorité européenne ne leur permettra d'acquérir qu'une autorisation (un quota) de 95 000 tonnes /an. De là deux solutions : soit elle accepte et réduit donc, année après année, son émission de carbone, soit elle se retrouve forcée d'acheter de nouveaux quotas (à l'Europe ou bien directement à d'autres entreprises disposant d'un surplus de quotas).

Le tout est pensé pour être dissuasif : si on veut polluer, il faut en payer le prix.

Mais voilà, le problème c'est que ce prix est aujourd'hui ridiculement bas (6 euros/tonne), et ne dissuade pas du tout les grosses industries. La crise économique ayant d'elle même obligé les industriels à moins produire (et donc à moins polluer), il y a beaucoup trop de quotas sur le marché. Les entreprises, ayant naturellement réduit leurs émissions, ne s'en sont tout simplement pas servis, d'où une chute de la valeur boursière de l'émission de carbone.

Dernière solution envisageable : imposer un prix à la tonne d'émission de carbone, ou tout du moins un prix de réserve plancher lors des enchères, ainsi qu'un prix plafond. C'est justement ce que préconise le rapport commandé par Ségolène Royal : un minimum de 20 ou 30 euros la tonne, et un maximum de 50 euros, et cela avec une augmentation de 5% à 10% annuelle, pour atteindre un minimum de 50 euros/tonne en 2030.

En France, c'est la Caisse des Dépôts qui est chargée de mettre en oeuvre les quotas reçus de l'Europe. Contacté par nos soins, un haut responsable chargé de la partie carbone nous a confirmé cet état des lieux :

L'Europe a bien essayé de geler un certain nombre de quotas (en ne les remettant pas en circulation) mais j'ai pu constater que c'était encore bien insuffisant pour faire remonter le prix de la tonne d'émission de carbone.

Petite incursion dans le centre de la France...

Pour prendre un exemple très concret, nous avons feuilleté les documents relatifs aux émissions carbone et aux quotas alloués dans les régions françaises...

Allez, va pour la région Centre-Val de Loire... Voilà, entreprise par entreprise, le détail des allocations allouées en 2014 (en bleu) par rapport aux tonnes d'émissions de CO² (en rouge) des installations de la région :

Dans la plupart des cas, on voit que l'allocation est inférieure à l'émission, pour inciter, année après année, à une réduction de celle-là. Pourtant il est des cas où l'allocation est supérieure à l'émission, voire très supérieure, comme c'est le cas pour l'usine de Francekrono (entouré en rouge dans le schéma). Désormais appelée Swisskrono, l'entreprise a accepté de nous répondre à ce sujet : leurs émissions, beaucoup plus faibles que les années précédentes, seraient la conséquence directe de leurs investissements dans des nouvelles technologies utilisant de la biomasse à la place des énergies fossiles... sans vouloir néanmoins nous en dire davantage sur les nouvelles installations en question, en vertu du "secret industriel".

Si Swisskrono s'était effectivement doté d'une nouvelle technologie "verte", le surplus de quotas leur permettrait de rentabiliser ces investissements, en les revendant sur le marché du carbone, probablement via la plateforme d'échange EEX.

Taxe carbone, compensation carbone, quotas carbone... Quésaco ?

Peut-être dans un souci de vulgarisation, l'émission de Cash Investigation du 24 mai 2016 ("Climat : le grand bluff des multinationales") parlait de don gratuit de ces quotas, Même si cela reste vrai pour certains secteurs comme l'acier soumis à une plus forte concurrence internationale, la répartition des quotas se fait principalement (57 %) par mise aux enchères depuis 2013,

Les recettes provenant de la mise aux enchères des quotas constituent pour les États membres une source de moyens financiers pouvant être utilisés pour soutenir les initiatives "bas carbone" et toutes les entreprises innovantes dans le domaine.  C'est ce qu'on appelle la "compensation carbone", aller vers une neutralité polluante/dépolluante : si j'émets des gaz à effet de serre, je dois trouver des solutions comme avec la structure Allcot par exemple, pour réduire d'autant la consommation de mon usine, celles-là pouvant être le financement de nouvelles infrastructures plus "vertes", l'aide à la reforestation, etc.

Aller vers une neutralité des émissions de CO² c'est bien, mais ce n'est pas suffisant au vu de l'objectif de Kyoto de les réduire par 4 (le fameux facteur 4) pour atteindre le taux d'émissions de 1990.

Autre imprécision des médias : l'amalgame, souvent fait avec la taxe carbone, qui n'a pourtant rien à voir avec les quotas. La taxe carbone, au contraire, impose au prix final d'un produit une légère augmentation pour taxer directement les entreprises polluantes et rendre aussi leurs produits moins attractifs économiquement que la concurrence.

Au moins une chose est sûre, c'est que la cimenterie Lafarge à Frangey, pointée du doigt par l'émission d'Elise Lucet pour avoir reçu des quotas alors que l'usine avait fermé, n'en reçoit désormais plus du tout ! En atteste le document officiel du Ministère de l'écologie que nous avons pu retrouver :

Beau boulot Elise.

La lueur au bout du tunnel

Pour faire remonter le prix du carbone, la Commission européenne avait pensé retirer 900 millions de droits d'émission du marché du carbone. Manque de chance, le 16 avril 2013, le parlement européen refuse par un vote cette mesure pourtant nécessaire, sous la pression des lobbys.

Pourtant le dossier revient sur la table, et la Parlement européen finit par voter en faveur de la création d'un fond de réserve du marché des quotas, en juillet 2015. En plus du retrait des 900 millions quotas du marché qui sera fait à partir de janvier 2019, les quotas retirés ne devraient pas être réinjectés dans le système, ce qui augmentera l’effet de rareté. De plus, ils serviront à créer un fond d'investissement pour les nouvelles industries dites "vertes".

Et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, la Commission a dans le même temps publié une proposition de loi visant à réexaminer les règles du SEQE (le marché du carbone). C'est justement dans cette perspective de refonte du système d'allocation de quotas que s'inscrit le dernier rapport de Ségolène Royal : au même titre que c'est la France qui aurait insufflé le mouvement nécessaire à la création d'un fond de réserve, ce pourrait donc être aussi la France qui insufflerait la tournure de la loi actuellement à l'étude.

*Cri du coq*

Alors vous avez compris maintenant ? Vous n'aurez plus jamais l'air nul à l'apéro si on vous parle bourse du carbone. Merci qui ?

Récompensez ce chroniqueur par un like !

Rejoins le projet Hello Demain et fais partager aux autres tes découvertes

Je participe

Rejoins le projet Hello Demain
et fais partager aux autres tes découvertes

Je participe